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MANIFESTE GWILEN

Gwilen est le nom breton de la Vilaine, le plus long fleuve de la péninsule armoricaine. Prenant sa source en bordure de Mayenne, il s’écoule à travers l’Ille-et-Vilaine, traverse Rennes, poursuit son cours à travers le Morbihan, pour aller se jeter en plein cœur du Mor Braz, entre Pénestin et Muzillac. Mor-Bihan, littéralement petite mer, désigne le Golfe qui l’habite, cette petite mer ponctuée comme disent les anciens d’autant d’îles qu’il y a de jours dans une année ; Mor-Braz est sa grande sœur, étendue maritime fermée au sud-ouest par les îles de Houat et Hoëdic, à l’ouest par la presqu’île de Quiberon, au nord par la presqu’île de Rhuys et à l’est par Guérande, pays des paludiers. Cette grande mer, à l’abri des violences de l’océan Atlantique et des houles du large, est un espace protégé, un écosystème préservé, zone estuarienne où se mélange l’eau douce à l’eau salée, un point d’équilibre et de transition. Un écosystème fragile, en équilibre entre deux mondes : celui de l’océan et celui des continents. Un lieu fragile accueillant des oiseaux nicheurs et des oiseaux migrateurs faisant escale lors de leur grand voyage, y trouvant un refuge et un repos. Avocette élégante, Bernache cravant, Tadorne de Belon, l’Huitrier pie, Harelde de Miquelon, Plongeon catmarin, la Macreuse noire et le Fuligule milouinan, s’installent au cœur des vasières et prés-salés, entre Salicornes et prairies à Spartines, cohabitant avec les loutres et les visons qui y ont élu domicile. Ce fragile équilibre fut perturbé par l’homme, qui a construit le long de la Vilaine un barrage afin de constituer une importante réserve d’eau douce alimentant l’équivalent de deux départements en eau potable. Une nécessité pour préserver son espèce sédentaire. Cette infrastructure est une structure à l’échelle du territoire. Une construction humaine qui de par ses dimensions et surtout son impact, est à la mesure des phénomènes naturels : écoulement des eaux et bassins versants, topographie, hydrologie, géologie, sédimentation. Ces échelles qui nous dépassent sont celles de la Nature. Cette Nature à laquelle nous appartenons, ces écosystèmes dans lesquels nous vivons. Nos constructions et nos infrastructures modèlent le paysage. Les matériaux que nous extrayons, transformons, déplaçons et mettons en œuvre, sont autant de modifications de l’aspect « naturel » du monde, de par l’extraction qu’ils nécessitent, véritables balafres géologiques, ainsi que par l’amas de matières inertes que sont nos architectures et nos infrastructures, transformant notre environnement au point de le recréer de toutes pièces au cœur des villes, là où la Nature n’a plus sa place que par anecdotes, comme un arbre planté sous un goudron. La Nature est-elle ce qui existe sans l’Homme ? Sommes-nous des parasites faisant dérailler le monde ? Il nous semble qu’ici encore il est question d’équilibre. C’est avec une grande délicatesse et une grande attention au territoire qu’il nous faut concevoir nos infrastructures, conscients des déséquilibres qu’elles peuvent engendrer, conscients de l’échelle à laquelle nous sommes capables de penser. Il ne s’agit pas là de questionner le bien fondé de ces barrages, de ces ports, de ces ponts, ou de ces routes, mais bien de mesurer l’ampleur de notre impact en tant qu’humain. Un impact tangible au travers de ces exemples infrastructurels que nous côtoyons et que nous pratiquons négligemment. Il aura fallu deux générations pour que l’aspect naturel de cet estuaire soit transformé, pour que sa nouvelle morphologie devienne dans l’esprit des Hommes, sa nouvelle naturalité. Ce rapport au temps est fondamental. Notre passage éclair sur Terre est à l’image de l’étincelle que représente l’Humanité pour la planète Bleue. Jacques Ellul dans « Le bluff technologique » décrit à merveille le compactage progressif de notre temps, son accélération qui se mesure aujourd’hui à la vitesse d’un électron au cœur des horloges atomiques, capables de décomposer une seconde en 9’192’631’770 oscillations. Un temps qui cette fois nous dépasse, non pas par sa grandeur mais par sa petitesse et par sa vitesse. La vitesse des machines n’est pas la vitesse de la Nature. L’équilibre se cherche aussi dans ces échelles de temps et dans une synchronisation aux phénomènes naturels. Le cycle des marées, le rythme du ressac qui inexorablement, couvre et découvre l’estran, cet entre-deux mondes, cette transition floue entre mer et terre, est au fondement des richesses de la culture bretonne. Armor, Arvor, Argoat. De la mer, du littoral, de la terre. Ces trois termes désignent les trois mondes qui façonnent chaque breton. Breton des terres, breton des mers. Deux dimensions d’une même culture, qui s’entremêlent telles les eaux au cœur d’un estuaire. Ce mélange, cet équilibre, est au cœur du projet Gwilen, valorisant ce qui vient de la mer pour construire la terre. Préservant les fragiles écosystèmes marins tout en limitant la consommation de ressources terrestres. Apaisant ainsi le rapport complexe qu’entretiennent nos infrastructures marines avec les environnements naturels, pour produire cette pierre artificielle, ce béton armor produit comme une pierre sédimentaire par un procédé inspiré d’un procédé naturel, celui de diagénèse, qui transforme les particules en roche. Un matériau minéral, fait de l’argile qui a modelé les hommes. Fait de ces minéraux marins que l’on retrouve au cœur de nos cellules à qui ils donnent toute leur vitalité. L’équilibre toujours, entre l’objectif et les moyens, la meilleure manière de s’inspirer de la Nature qui dans performance entend optimisation : des moyens, des ressources, de l’énergie. L’optimisation, ce Graal de l’ingénieur qui par ses modélisations et ses anticipations créé des systèmes, des micros mondes inspirés du Monde. Se tromper entre performance et optimisation, c’est penser que les records nous permettent de dépasser la matière. Négliger l’optimisation, c’est oublier que nous vivons dans un monde fini. Optimiser ressources et moyens, pour atteindre une suffisance, un nécessaire. Viser juste, pour éviter l’excès. Utiliser ce que l’on a pour ne plus prendre ce qui est. Respecter le temps, le temps géologique qui nous dépasse et que l’on viole par une indécente prétention. Respecter la matière pour ce qu’elle est, et la mettre en œuvre pour ce qu’elle vaut. La travailler, et lui donner vie par nécessité. Intégrer aussi l’échelle d’un territoire en considérant les ressources là où elles se trouvent. Concevoir avec l’existant tel des bricoleurs Lévi-Straussiens, et concevoir à partir du monde plutôt que de le soumettre à notre pensée et à nos concepts, dans un équilibre retrouvé avec notre environnement.